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Publié le 19 avril 2022 à 18h29

Après une tournée en Afrique, Monk.E revient au Québec avec du nouveau matériel

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Après une tournée en Afrique, c’est avec de nouveaux sons que l’artiste revient au Québec. La voix qu’élève le MC devient un hymne à la couleur et fait habilement écho à ces portraits qu’il essaime – en tant que muraliste – des rues de Dakar à celles de Montréal et Oaxaca de Juárez. Première pièce musicale qu’il publie depuis deux ans, le poétique single constitue un avant-goût de choix à un album qui compte des collaborations avec d’aussi grands noms que ceux d’Imposs et Connaisseur Ticaso.

 

Au cœur du clip qui accompagne le single Rembrandt, l’artiste arbore au détour de sculptures blanches un masque aux couleurs éclatantes et qui constitue un emblème de la nation huichol du Mexique.

 

 

« C’est un boost de vie, dit en entrevue l’artiste à ce propos. Le masque évoque certaines traditions du Día de Muertos. »

 

Assurément, il s’agit d’un symbole qui prête à la réflexion. « La mort, c’est censé être obscur et elle constitue pourtant la pièce avec le plus de vie, la plus saturée, colorée et vive, note Monk.e. J’aime représenter ces paradoxes dans mon art. »

 

Bien sûr, le rap donne un sens d’autant plus efficace à cette mise en scène se déployant aux abords d’une œuvre d’art public intitulée La foule illuminée, de Raymond Mason, sur l’avenue McGill College. D’ailleurs, la mise en scène de Prolifik implique aussi des murales créées par Monk.e dans Hochelaga et à Ahuntsic.

 

« Je devais montrer dans un atelier de poésie comment on pouvait mélanger le français à l’anglais en gardant la même thématique, raconte l’artiste à propos de la genèse de cette pièce qui fait allusion à plusieurs peintres. J’ai écrit le texte à partir de jeux de mots, de métaphores et de clins d’œil aux peintres qui m’inspirent dans mon évolution. »

 

Celui qui prend aussi part comme rappeur au collectif Chromaship signe son 9e album avec Les couleurs invincibles. Un disque qu’il a mis au point au moment où la pandémie l’a conduit à revenir à Montréal. « J’ai fait beaucoup de musique, j’ai eu la chance d’investir du temps en studio », dit-il à ce propos. Au plan de la composition, l’album qui compte aussi sur la prestance de voix comme celles de Meryem Saci et Esmeralda Sumar se révèle entièrement produit par le beatmakeur parisien Gyver Hypman et son fils Kay Hypman.

 


Couleurs du hood

« J’étais plus safe dans le ghetto avec mes boys qu’à Montréal, soulignait il y a un an Monk.e au micro de Duendy Tucler dans le cadre du podcast ElLife Real. Je refuse de vivre dans la terreur du nuage militaire gris, pharmaceutique. »

 

Une énergie impliquant une posture critique. « C’est le fait d’être en couleur dans un monde gris, note-t-il. J’ai beaucoup moins l’air d’un fou à Kampala qu’à Montréal. »

 

L’artiste boucle aujourd’hui avec son retour au Québec une 10e tournée africaine, qui l’a conduit au Sénégal puis en Ouganda, en Éthiopie et en Tanzanie. Une trajectoire internationale qui va de pair avec l’engagement. « Chaque voyage te transforme, disait-il à Duendy. C’est d’autant plus le cas lorsque tu choisis d’avoir un pied social dans le pays où tu te trouves. »

 

Bien sûr, on connaît l’artiste pour ses liens profonds avec le Mexique. On trouve plus d’une centaine de ses murales au pays de Frida Kahlo. Comme rappeur, Monk.e a fait plusieurs collaborations avec le chanteur Lengualerta. Il a en outre pris la scène lors d’un spectacle soulignant le 34e anniversaire de l’EZLN (Ejército Zapatista de Liberación Nacional), qui défend les droits des Nations Premières au Chiapas.

 

 

 

 

« Mes focus changent et je suis en train de me rétablir en Afrique, me dit-il au bout du fil. Montréal va toujours demeurer un pied à terre. » Avant la pandémie, l’artiste a vécu quelques années en Ouganda. Sa récente tournée lui a permis de tisser de nouveaux liens dans ce pays et de développer des réseaux dans l’est africain. Une murale qu’il signe cette fois à Kampala constitue un portrait d’un grand artiste ougandais devenu collaborateur, Zex Bilangilangi.

 

 

 

 

« C’est à cause de l’art que j’arrive autant à connecter avec le ghetto », dit Monk.e. D’ailleurs, il s’agit d’un lien social qu’il cultive d’abord ici à Montréal.

 

 

En effet, il a peint durant l’été une murale en hommage au chanteur Jeune Loup. « C’est jeune pour mourir, 22 ans, dit Monk.e. Il avait un truc, une drive, une personnalité très unique. »

 

 

Guerre spirituelle

« Sans censure, je te dirais que c’est Dieu, lance en entrevue Monk.e, quand je lui demande ce qui guide ses pas dans le déploiement d’une telle trajectoire internationale. Je ne fais qu’aller là où je suis appelé, là où ça fait du sens. »

 

 

 

 

 Une vision spirituelle directement liée à la conscience sociale et qu’il porte au-delà des frontières.  À l’annonce du décès de Karim Ouellet, il a peint en hommage au chanteur une splendide œuvre murale sur le toit d’un édifice au centre-ville de Dakar.

 

 

 

 

Sa démarche artistique constitue le premier foyer de cette philosophie et une murale qui en atteste particulièrement bien constitue celle qu’il a produite cette année avec Luvs’ dans le cadre du festival Under Pressure. « Les polarités, embrasser les extrêmes avec le blanc et le noir absolus d’un damier, de l’échiquier de nos vies, voici comment l’artiste résume l’esthétique de cette fresque. Avec une silhouette élancée qui s’harmonise aux tours noires de l’œuvre, la reine peut faire référence à un jeu d’échec. »

 

Métaphore puissante, les colombes apparaissent ici en train de s’entredéchirer. « Les deux symboles de la paix sont en guerre, souligne Monk.e. Même si les deux éléments sont blancs, leur vie est obscure. »

 

Les dualités impliquent une tension invitant à une conscience anticoloniale et antiraciste. « Ce qui nous a été vendu dans les critères de la vision raciste qui domine encore, c’est une association entre la blancheur et la beauté, c’est l’idée de l’expertise occidento-centrique, soulève l’artiste. Au jeu d’échecs, c’est toujours l’équipe blanche qui attaque en premier. »

 

Les tours noires font corps avec les fenêtres illuminées des édifices à l’horizon. « To pray signifie prier mais l’expression pray on, en anglais, veut aussi dire le fait d’être en proie, sous l’oppression, mentionne aussi Monk.e. C’est ce que m’inspire la Queen en prière. »

 

Cette orientation, l’artiste la porte de différentes manières. En juin, il a fait le choix de refuser une nomination qu’on lui dédiait à titre d’artiste émergent dans le cadre la Fête du Canada. « C’est cette idée-là de ne pas m’allier à l’envahisseur et à l’oppresseur qui motive mon refus, commente-t-il. De mille et une manières, le Canada joue un rôle de néo-colonisateur. »


Ce qu’il expliquait avec davantage de précision en entrevue au podcast Onz Montreal.  « J’ai le privilège d’être un homme blanc, d’être né au Canada, d’avoir accès à la devise canadienne, disait-il à Jay Seven et Le Onz. J’ai choisi de réinvestir mes privilèges pour le bien commun. »

 

La musique reste à ses yeux un élixir essentiel. « Je suis un guerrier et le trap, le drill d’aujourd’hui, c’est un cri de guerre, de survie des ghettos, soulevait-il durant cette entrevue. La musique du street a toujours joué un rôle dans mon œuvre. » 

 

 L’artiste annonce déjà la parution de son album Les couleurs invincibles le 15 juin. Il met aussi en ligne la pièce Du pain et des jeux le 18 avrilDeuxième single de l’album Les couleurs invincibles, la collaboration avec Imposs et Connaisseur Ticaso comporte un clip de Carlos Guerra.  « Ce single représente une des chansons les plus symboliques de ma carrière, bien entendu à cause de ces collaborations mais aussi de la vidéo et du propos, dit Monk.e. Je crois qu’on vit à un moment où l’humanité a besoin de substance. »

 

Il souligne qu’il s’agit pour lui d’un honneur de travailler avec ces artistes. « Imposs et Connaisseur Ticaso sont deux des rappeurs les plus influents et pertinents du moment présent ainsi que de toute l’histoire du rap québécois, dit Monk.e.. Muzion est un groupe qui m’a incroyablement influencé, Imposs est un mathématicien de la rime hors-pair puis Connaisseur Ticaso, c’est un des artistes les plus enracinés dans le mode de vie hip hop qu’on a présentement au Québec. » La classe et la rue à son meilleur pour le muraliste et MC qui représente si bien Montréal.

 

 

 

 

 

 

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