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Publié le 4 novembre 2020 à 15h02

À l’avant-garde du hip hop montréalais en espagnol, Alquimia Verbal refait surface avec le single « Iceberg »

 

 

Sonorités éthérées, cosmiques; flow extrêmement dynamique avec deux voix en échos. À l’origine de cette pièce éclatante, une formation marquante pour la scène locale. En 2011 et 2012, Alquimia Verbal donnait avec les albums Así de simple et Reliquias un élan déterminant au hip hop montréalais en espagnol. Un art novateur et arborant fièrement les couleurs de l’ouest de Montréal. Dix ans plus tard, Griffos et Yos-B annoncent discrètement — et avec un single qui vaut l’écoute — un tout nouvel album.

 

« Cette décennie, j’en sors avec le sentiment d’une pratique, comme si on était au gym et qu’on se préparait pour la grande bataille, affirme Carlos Arpaiz Soto, alias Griffos, d’Alquimia Verbal. En 2020, on entre dans le ring. »

Assurément, le tandem qu’il formait il y a dix ans avec Roberto — son frère — alias Yos-B se révèle emblématique de nouveaux horizons pour le hip hop montréalais. On trouve dans le même sillage des noms incontournables, comme ceux de Monk-e, Boogát, Paranoize, Duendy Tucler ou encore Heavy Soudz.

Avec le collectif Sueños y Raíces, les deux artistes œuvrent depuis activement à l’essor d’une scène désormais d’une importance majeure à Montréal. « Si nous avons la langue espagnole en commun en tant que collectif, nous sommes reconnus autrement aujourd’hui, soulève Griffos. On mobilise des artistes de différentes disciplines, qui s’expriment en français, en anglais et même d’autres langues. »

Sur une terrasse adjacente à son studio de création et d’enregistrement, l’artiste me parle du renouveau d’Alquimia Verbal. « Socialement, la période que nous traversons avec la pandémie constitue la pointe de toute une situation profonde et c’est le message que porte la pièce Iceberg, dit l’artiste. Elle représente aussi la partie émergente de ce que nous dévoilerons avec l’album au printemps. »

D’ailleurs, le single se distingue par des accents trap. « Il s’agit d’un genre qui se prête à des rythmes moins carrés et que s’approprient plusieurs artistes d’Amérique latine, mentionne celui qui possède une feuille de route diversifiée en tant que musicien. On la conjugue à la musique andine ou encore à certaines traditions mexicaines et souvent dans une démarche très engagée. »

 

Alchimies de création

 

Artiste multidisciplinaire, Griffos a appris depuis longtemps à sortir de sa zone de confort. Après avoir fait un programme de musique-étude à l’École Saint-Luc, il s’investit à titre de percussionniste dans des projets musicaux qui vont du punk au jazz. « Que flojera [quel ennui], c’est ce que je me disais quand j’entendais parler du rap, raconte l’artiste. Il m’a fallu entendre l’album Poesia Difusa de l’artiste espagnol Nach, pour me rendre compte qu’il y avait bien plus profond et réel que les image commerciales et stéréotypées qu’on voyait à la télévision. »

C’est quand un ami lui fait découvrir le mouvement hip hop chilien que le déclic a lieu. À l’écoute d’artistes comme Ana Tijoux ou le groupe Tiro de Gracia, il y entend un appel. C’était en 2008. Avec son frère, il se lance corps et âme dans la composition. En 2012, Alquimia Verbal allait assurer la première partie du spectacle d’Ana Tjoux à Montréal.

Moment déterminant pour Griffos et Yos-B, la participation en 2009 à un open mic sur la rue Saint-Jacques. Une soirée baptisée Ô Ciel et organisée par l’artiste Monk-e . « L’événement se tenait dans une ancienne librairie, plutôt exigüe et déclarée territoire souverain par l’organisateur, raconte-t-il. C’était un open mic sans mic! » Les deux artistes y déclament leurs textes et ils y sont bien accueillis. « L’événement nous a permis de nous connecter directement avec les artistes que nous suivions sur le Web, comme Monk-e ou encore Nomadic Massive, raconte-il. C’est dans ce contexte qu’a vu le jour Alquimia Verbal. »

Grâce à des études en technologies sonores, Griffos explore de nouveaux outils de création. Il développe ses propres beats avec Yos-B. Leur première performance a lieu lors d’une soirée organisée par Rough Draft et Dj Con Seannery dans un bar de la rue Crescent, le Brutopia. Au fil des événements, ils en viennent à connaître les autres précurseurs du hip hop en espagnol au Québec. Musicalement, ils trouvent une inspiration particulière dans le travail du groupe Heavy Soundz (formation à l’origine de Sonido Pesao). La connexion s’établit aussi humainement lorsqu’ils font la rencontre de Chele et Lunatico. « J’écoutais constamment leur matériel, même au boulot, se rappelle l’artiste. Chele nous a beaucoup aidés, notamment avec l’émission Bled latino qu’il animait back in the days à CISM. »

Le nom du tandem vient aux deux artistes à la lecture de L’Alchismiste de Paolo Cohelo. « Quand on sait canaliser la souffrance, il peut en sortir de belles choses, résume-t-il. Avec le processus d’immigration, on a dû vivre des moments de tristesse, d’insécurité; l’alchimie, c’est le fait de méditer, de transformer nos expériences pour obtenir avec l’art quelque chose qui fait dire aux gens Oh shit …»

Une intention rejoignant l’allusion philosophique propre au nom d’artiste Griffos. « Il y a bel et bien une référence à l’oiseau mythologique [Griffon en français] dans ce choix, dit-il. Avant la musique, je l’utilisais dans le street art et il vient initialement de mon grand-père qui m’appelait ainsi enfant au Mexique. »

À sa sortie en 2011, l’album Así de simple connaît un franc succès. Il s’inscrit dans les premiers pas d’un mouvement qui commence à s’affirmer à Montréal. Griffos mentionne que l’artiste Boogát joue un rôle-clé dans l’essor de cette scène. « Il nous a entre autres invités à l’événement Nuvo Tumbao, qu’il organisait au bar Les Trois Minots, boulevard Saint-Laurent, dit-il. On y a fait des spectacles avec des artistes comme Cuervo Loomi, Duendy Tucler, Paranoize. »

D’ailleurs, Griffos raconte que c’est à l’initiative de Boogát qu’a eu lieu le spectacle d’Ana Tijoux au Divan Orange en 2012. La scène montréalaise qui prend place fait la rencontre d’une artiste emblématique d’un mouvement d’une profonde importance dans l’histoire du hip hop. « Nous devons l’invitation à Boogát, dit l’artiste. Ce fut une consécration. »

 

 

Cypher actuel

 

C’est lors d’un événement de freestyle qui a eu lieu durant l’été 2020 que le tandem a pris la décision de revenir au front du hip hop. Chaque mercredi soir (de la fin du confinement de l’hiver au début de celui-ci), le parc Girouard, situé dans NDG, devenait le théâtre d’un rassemblement sous le signe du hip hop. Beat, rap, street art, breakdance… Les quatre piliers, comme le disent les aficionados. Après quelques éditions, la soirée s’est faite connaître sous le nom de Cypherology. « C’est une épreuve collective que nous traversons avec la pandémie et l’heure est à de nouvelles alchimies, dit l’artiste. La COVID nous a inspirés, nous devions trouver d’autres moyens de connexion et de création. »

À l’origine de Cypherology, on trouve Sueños y Raíces. Au-delà du groupe musical (et celui-ci est entre autres finaliste au concours Syli d’Or 2020, qui reste en suspens compte tenu de la fermeture des salles de spectacles), le collectif joue un rôle de catalyseur pour la scène. Chaque artiste qui en fait partie se dédie principalement à ses propres projets musicaux. « Nous travaillons à mettre en lumière les créateurs et créatrices hip hop, précise Griffos. Quand nous rencontrons un artiste de talent, comme ce fut le cas, par exemple, quand nous avons connu Luis Rodriguez alias LRO, nous voulons favoriser son ascension. »

Pour Griffos, il s’agit d’un momentum. « C’est un temps de création et le nouvel album, c’en est le reflet, dit-il. Nous allons être prêts pour le printemps. »

Actuellement, l’artiste travaille à la mise en place d’un studio d’enregistrement. Un projet allant de pair avec l’entraide pour celui qui défend aussi la scène en animant l’émission Latin Mondays avec Luis Tovar à CKUT. Moyens physiques ou initiatives médiatiques (on peut penser au concept Ellife de Duendy Tucler sur Instagram ou encore à la Rumba Mundial de Lunatico à CIBL), une dimension collective porte ce vent de création qui se prépare à Montréal. D’ailleurs, l’artiste se réjouit particulièrement d’une pièce toute récente intitulée I hope et qui vient d’une collaboration avec une talentueuse artiste à ses premiers pas dans le hip hop, Big Daddy Queen Power. « Il y a une nouvelle génération qui a beaucoup de potentiel et le collectif Sueños y Raíces compte désormais parmi ses membres le jeune artiste Güero RS, note-t-il. Artiste émergent, il est déjà champion de plusieurs battles au Québec et aux États-Unis. »


Cliquez ci-dessous pour écouter  le single « Iceberg » 

 

 

Prévisualiser la vidéo YouTube « I Hope feat. Big Daddy Queen Power«