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Publié le 18 avril 2015 à 16h22

Ale Dee parle de ses débuts, ses fans & de son nouvel album (entrevue exclusive)

La vie fait parfois drôlement les choses. Il y a des rencontres que l’on fait tout au long de celle-ci, qui ne servent absolument à rien. D’autres se développent, grandissent et deviennent des relations qui durent des années. D’autres, bien que tout à fait plaisantes, semblent anodines sur le coup et se font rapidement oublier, pour plus tard nous surprendre lorsqu’on s’y attend le moins. J’ai un camarade, Mike, que je connais depuis un peu plus d’une quinzaine d’années. Il fait partie d’une bande de bons vivants que j’ai rencontrés à divers moments, au cours des deux décennies que j’ai passées à Laval. Bien que Mike et moi n’étions pas proches, lorsque nos chemins se croisaient, nous prenions toujours le temps de nous arrêter, et d’apprécier le moment avec une bonne conversation. Sympathique, jovial et accueillant, Mike était un être humain très agréable. Ce sont ces souvenirs qui font que je n’ai aucunement hésité lorsque Gennadi, une bonne connaissance à moi et un ami d’enfance à Mike, m’a laissé savoir que ce dernier pourrait avoir besoin de mes services.

 

Mike Jean-Louis travaille à son compte, dans le domaine de la musique, en tant que gérant d’artistes. Son plus récent protégé, Ale Dee, rappeur francophone de la scène québécoise, sort ce mois-ci son 6e opus, Sans Vous. Je tiens à préciser qu’il s’agira de la 1ère parution officielle sous la nouvelle maison de disque Label Musique, fondée par Ale Dee et son producteur Hotbox. Afin d’optimiser les lancements simultanés de la compagnie et de l’album, Ale Dee et Mike ont eu quelques idées, dont la création d’un nouveau site web. Ce dernier offrirait un lien officiel afin de télécharger Sans Vous gratuitement. Il y a certaines étapes qu’un artiste musical ne peut se permettre de brûler, lorsqu’il offre un nouveau produit à son public. Notamment, dans le cas d’un chanteur (ou d’un rappeur), les spectacles et les entrevues. Mike avait une vision très précise par rapport à une des entrevues qu’il désirait pour son artiste.

 

Puisque le texte de l’entrevue serait éventuellement publié en ligne, il fallait que celui-ci soit captivant, qu’il se lise comme une histoire, ou une narration. Gennadi, qui était au courant de mon affection pour ce type de musique et savait que j’écrivais, lui a parlé de moi. Mike et moi nous sommes contactés; le projet m’a plu; nous nous sommes entendus; une entente a été conclue. Nous voilà donc confortablement installés dans les studios de Label Musique. Les présentations ont été faites, et la glace a été brisée. Ale Dee, Alex pour les intimes, est assis en face de moi et attend tranquillement que je commence la conversation. Mike, un peu plus à l’écart, observe la scène et attend le dénouement.

 

– Alex, je crois comprendre que tu es originaire de Trois-Rivières. En toute honnêteté, je ne savais pas qu’il y avait une scène hip hop bien établie là-bas. Pourrais-tu m’expliquer c’est quoi être un fan de hip hop à Trois-Rivières?

– Tu vois Wes, nous avons été choyés là-bas. C’est surprenant à quel point tous les spectacles qui venaient à Montréal et à Québec, passaient à Trois-Rivières. Stratégiquement, les promoteurs et artistes avaient tout intérêt à s’y arrêter. Nous avions à l’époque une belle salle de spectacle, Le Maquisart, qui pouvait contenir de cinq à six cent personnes, et elle se remplissait chaque fois. Te rappelles-tu de l’époque durant laquelle IAM, Fonky Family et les grands groupes de l’époque 

venaient régulièrement à Montréal? Dis-toi que tous sont passés dans mon coin avant d’arriver dans le tien. Je suis content de pouvoir dire que j’ai fait la première partie de tous ces spectacles.

 

– Te souviens-tu de ton 1er contact avec le hip hop? De la 1ère fois que tu as entendu du rap?

Absolument! J’avais douze ans, et je venais d’entendre le groupe Fu-Schnickens, qui avait deux chansons ultra populaires à l’époque: « True Fuschnick » et « La Schmoove ». Peu de temps après, j’ai commencéà me rendre aux soirées qui étaient organisées pour les jeunes de treize àdix-sept ans, sortes de clubs pour ados. De minuit à une heure, le DJ jouait du rap; mes amis et moi n’attendions que ça pour danser et nous amuser comme des fous. Nous avions même le style vestimentaire branché du moment: tuques de la marque City Styles, vêtements « baggies », etc.

 

– À quel moment as-tu compris que tu voulais te lancer et tenter une carrière musicale?

– J’avais dix-huit ans, et je traversais une période pas mal sombre. Des amis et moi venions d’aller voir un concert d’un groupe belge qui s’appelait De Puta Madre. Il s’agissait de mon premier concert de rap. Bien que ce groupe n’avait rien d’extraordinaire, je suis sorti du spectacle excité, inspiré. De là, j’ai commencé à écrire et à« rapper » dans un sous-sol avec mes copains. Environ quatre mois plus tard, le groupe montréalais Shades of Culture est passé en ville. Il était coutume que les artistes offrent à des spectateurs l’opportunité de monter sur scène afin de « freestyler », histoire de connaître quelques minutes de gloire. J’y ai été, et le propriétaire de la salle m’a remarqué. Il m’a approché et m’a invité à ouvrir pour Dubmatique, qui se produirait en spectacle quelques mois plus tard. Ma première prestation a donc été devant un public de six à sept cent personnes et c’est là, que j’ai eu la vraie piqûre.

 

– Au stade actuel de ton cheminement en tant qu’artiste, comment décrirais-tu ton son, principalement ton écriture?

– Je tiens à ce que mes textes démontrent une certaine maturité. Ça fait quinze ans que je fais de la musique, et j’ai beaucoup de vécu. Le temps n’est plus à la fête, la débauche et l’excès. C’est sûr qu’à la base, je suis un bon-vivant qui aime s’amuser, mais à un certain moment, il a fallu passer à autre chose. Je me suis rendu compte au fil des années, que mes auditeurs m’appréciaient le plus lorsque je gardais les choses simples, lorsque je parlais de moi, de mes émotions, de mes expériences. Je me suis donc concentré là-dessus, et ça a rendu mon son beaucoup plus accessible; il plaît à une plus grande variété de gens. Je crois sincèrement que ma mission est d’aider mes auditeurs avec ma musique. Certains artistes existent pour faire danser, ce qui est tout à fait honorable, mais je préfère venir en aide. Tu sais Wes, ce n’est pas facile de se mettre à nu à travers son art; ça rend vulnérable, et la vulnérabilité fait peur. Les rappeurs sont généralement vus comme étant très macho, et le monde n’est pas nécessairement intéresséà les voir montrer des émotions. Moi, j’ai pris ce risque, et ça m’a très bien servi. Je suis là pour exprimer ce que les gens peinent à exprimer. Parce que j’offre à ceux qui m’écoutent une épaule sur laquelle s’appuyer, il a pu s’établir un lien très intime entre nous. Je trouve ça beau et précieux. Alors en résumé Wes, mes textes sont matures, et parlent des vraies choses. Ils relatent mes expériences personnelles. On pourrait même dire qu’il s’agit de balades québécoises, version rap.

 

– Sans Vous est ton 6e album, et il est gratuit. Parle-moi de ce projet. 

– Mon partenaire et producteur, Hotbox, et moi lançons notre compagnie de disques, Label Musique. Un des premiers « moves » que nous voulions faire était d’offrir un album gratuit au public. Une chose qu’il faut comprendre est qu’après quinze ans de musique, je suis extrêmement reconnaissant envers mes fans. Ce sont eux qui m’ont permis de faire ce que j’aime pendant aussi longtemps. Ma carrière est ce qu’elle est, grâce au support de mes fans. J’ai écrit il y a quelques temps une chanson intitulée « Sans Vous ». Ce morceau était dédié à mon public. Mon équipe et moi en discutions et c’est là que l’idée de l’album gratuit nous est venue. Ça semblait être le gage parfait de reconnaissance. N’oublie pas que je viens de Trois-Rivières qui est en région. Ce n’est pas la grande métropole qu’est Montréal (qui soit dit en passant est une ville incroyable), et la différence se fait sentir dans la façon dont les gens interagissent. On prend plus le temps en région, on est plus chaleureux. C’est probablement une des raisons pour lesquelles je me sens si proche de mes auditeurs. J’irais même jusqu’à dire que j’ai besoin qu’ils comprennent à quel point je les apprécie. D’ailleurs la chanson titre, qui est une de mes favorites sur l’album, exprime très bien ma gratitude. Tu n’as pas idée à quel point j’ai hâte de la performer devant une foule.

 

– J’ai eu le privilège d’écouter l’album, et avant de poursuivre notre conversation, j’aimerais prendre le temps de te féliciter. C’est un très bel ouvrage, et je suis content qu’il ait été ma porte d’entrée à ton univers. Ce qui est encore plus intéressant, depuis le début de notre conversation, tu fais preuve de constance. Tout ce que tu m’as dit complémente parfaitement l’album, et m’a permis de mieux le comprendre. Merci encore Alex. Bon, revenons à l’entrevue. Parmi les quelques thèmes que tu abordes sur Sans Vous, il y a la spiritualité. Dans une chanson tu dis: « …À regarder vers le ciel j’ai un torticolis, ils disent que l’espoir rend fou, mais de les écouter serait de la folie ». Dans un autre morceau tu écris: « …À genoux devant la croix les larmes aux yeux, que Dieu me vienne en aide… ». Est-ce que cette spiritualité a toujours étéprésente dans ta vie?

 

– Oui. Ma mère m’a élevé seule et lorsque la vie devenait particulièrement difficile, elle s’accrochait à Dieu. Je ne connais pas bien La Bible, mais ma maman en a tiré quelques phrases qu’elle me répétait régulièrement: « Aide-toi et le ciel t’aidera », « Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse », etc. J’ai donc grandi avec ces notions. Je ne suis ni un fanatique, ni un fervent pratiquant, mais je prends le temps de prier tous les soirs. L’être humain est trop beau, trop spécial pour que son existence ne soit que le fruit d’une évolution. J’aime l’idée que nous ayons été créés par une entité supérieure. J’aime l’idée qu’un monde meilleur nous attend, et que tout ce que nous faisons de notre vivant a un impact direct sur nos chances d’y accéder.

 

– Vers la mi-juin, tu partiras en tournée avec un autre rappeur de la scène québécoise, Kasper. Comment cette tournée s’est-elle concrétisée?

– L’idée de la tournée vient de mon gérant (Mike). Il trouvait qu’il serait intéressant d’offrir un deux pour un au public. Kasper sort également un nouvel album, et bien que nous n’ayons pas du tout le même son, nous sommes tous les deux avec la maison de disques HLM, et nous avons tous deux un même objectif: le succès. Le but est de montrer aux gens que deux artistescomplètement différents peuvent faire preuve de solidarité et s’unir, afin de donner un spectacle solide. –

 

C’est la première fois que tu fais une tournée officielle avec un autre artiste. Crois-tu que ça va ouvrir des portes dans le hip-hop? À quoi t’attends-tu? 
– En toute honnêteté, je ne sais pas si ça ouvrira des portes, mais je suis certain que je vais le refaire. L’idée me plaît beaucoup. Je veux que les gens soient contents de venir au show et de voir plus d’un artiste en une soirée. Je veux qu’après le spectacle, ils en parlent pendant des semaines. Rappelle-toi Wes, je fais ça pour les fans. Alors c’est sûr que je vais le refaire. Si en plus ça ouvre des portes et ça change les choses, tant mieux!

 

– Nous en sommes à la dernière question. Tu te vois où dans cinq ans?

– Ce serait super que ma compagnie de disques, Label Musique, fonctionne bien. À travers celle-ci, je veux aider les éventuels artistes à se développer pleinement, sainement et sans tracas. J’aimerais pouvoir vivre entièrement de ma musique. Mon art est ma thérapie, j’en ai besoin. Si je pouvais en vivre confortablement, je serais un homme comblé.

 

– Merci beaucoup d’avoir pris le temps de me parler Alex. Ça a vraiment été un plaisir. Je te souhaite énormément de succès. Tu le mérites.

– Merci à toi Wes! Est-ce que je viens de me faire un nouveau fan?

 

– J’avoue que tu m’as eu mon gars. Je suis vendu! 

– Hahahaha! 

 

Pour écouter « SANS VOUS » de Ale Deecliquer sur l’image ci-dessous.

 

Wesley Rigaud Junior

Journaliste