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Publié le 10 novembre 2020 à 10h41

Bendy: le rappeur le plus diplômé au monde

Montréalais né au Saguenay et d’origine marocaine, Bendy est un universitaire qui renoue avec le rap après dix années d’absence. Bendy s’était fait un nom dans la scène rap québécoise dans les années 2000, à travers un projet d’album avec Dj Manspino, une mix-tape avec Krooks qui a connu un certain succès ainsi que des collaborations avec quelques grands noms du rap québécois tel Sans Pression. Rappeur d’Ahuntsic à Montréal, il a recommencé à travailler des chansons en collaboration avec le beatmaker Accro (Hotbox), un ami d’enfance. Bendy revient aujourd’hui avec un rap autobiographique, qui reflète différentes facettes de sa vie personnelle.

 

 

 

 

 

Premièrement, on se sent comment lorsqu’on est le rappeur le plus diplômé au monde ?

J’ai essayé de voir s’il y en avait d’autres, mais oui, je pense être celui qui est allé le plus loin sur le plan universitaire. J’ai un doctorat de l’Université de Montréal et j’ai aussi fait deux postdoctorats (McMaster University, Université du Québec à Montréal) où j’ai écrit sur les aides au logement dont les HLM. J’ai étudié principalement en science politique, mais aussi en droit et communication. Mes publications scientifiques sont accessibles sur mon compte Google Scholar, une des dernières étant coécrite avec un professeur émérite à Yale University. Mais très honnêtement, et même à l’époque, je me suis jamais
tellement assumé en tant que rappeur. Le rap c’est une partie de mon identité, j’en écoute depuis que j’ai 12 ans, mais je l’appréhende surtout en tant qu’auditeur ou amateur. La dimension « Bendy », c’est-à-dire moi en tant qu’artiste, ça c’est un peu plus secondaire. J’ai arrêté pendant 10 ans et je vivais bien quand même. Je ne me disais pas que c’était une grande perte pour l’humanité le fait que j’arrête de faire de la musique (rire)

 

 

 

Pour ceux qui ne te connaissent pas, tu as quel âge et quel genre de rappeur es-tu ?

Mi-trentaine. Je dirais un genre de « real life rap », je n’en rajoute pas pour épater la galerie. J’ai rien contre ceux qui le font, mais moi je me sens un peu vieux pour ça. Tout est très autobiographique, chaque chanson est un peu une page de ma vie, ou une photo de moi à différentes époques, dans ma trajectoire personnelle.

 

 

Tu t’es éloigné de la scène hip hop durant une décennie, dis-nous ce que tu aimes le plus et ce que tu aimes le moins de l’industrie hip hop au Québec en 2020 ?

 

Dans ce que j’aime le plus, certainement le succès international de Loud. Je l’ai croisé dans un bar et je l’ai félicité. Si je le recroise je le féliciterai une deuxième fois pour son don de 56000 $ aux plus démunis, aux populations racisées et vulnérables. Numéro 1 sur les charts et grand philanthrope, c’est admirable! Le dernier track Larry avec son clip sur un train, très fort aussi. Fouki c’est joyeux et festif, ça change et pour le mieux. Sinon toujours chez les plus jeunes je les trouve ambitieux, ils font des moves audacieux. J’ai regardé Enima évidemment, récemment j’ai découvert Jeune Rebeu et Dydadon. Certains ont des tounes avec du contenu assez explicite mais ça a toujours été présent dans le rap américain. Il y en a plein d’autres talentueux, mais je ne peux pas tous les citer… 

Dans ce que j’aime le moins, je dirais la violence à outrance, surtout sur des mauvais beats (rire) les conflits entre rappeurs. J’ai toujours trouvé que c’était contre-productif. Par conte, je vois beaucoup de collabos intéressantes, Mtl-Qc, variant les styles. Moi je suis convaincu qu’ils gagnent à être solidaires. Si je poursuis sur les trucs positifs, je constate une plus grande ouverture des médias. Il semble y en avoir plus à Tout le monde en parle. Cela dit, j’ai regardé l’entrevue d’Imposs avec Julie Snyder puis je dois dire – et c’est pas la première fois que j’éprouve ça – que j’avais une impression mitigée. Des fois, j’ai l’impression qu’à la télé les rappeurs sont des spécimens exotiques, à qui on pose des questions visant à les humaniser. Comme si on cherchait à tirer de leur bouche des réponses touchantes pour attendrir l’auditoire, pour rendre le rappeur plus sympathique à leurs yeux en quelque sorte. À la base, c’est gentil, ça donne même un coup de pouce au rap, mais je me posais des questions sur pourquoi les intervieweurs.euses agissent comme ça. C’est à se demander si c’est pour casser l’image négative et sombre que les non-initiés ont sur le rap. Il me semble que je trouvais l’approche différente la première fois que j’ai vu une entrevue avec un Hubert Lenoir très flyé ou une Safia Nolin avec un style bien à elle… 

Encore une fois, je conçois que ça parte d’une bonne intention des intervieweurs, mais je trouve la formulation des questions un peu étrange. Comme si on invitait quelqu’un à la maison auquel on n’est pas habitués. Le « rappeur » dans le paysage médiatique québécois reste un peu un outsider. Alors qu’aux États-Unis, Jay-Z ou Eminem sont à David Letterman et autres, The Roots sur le show de Jimmy Fallon…t’as l’impression qu’il les connaît depuis toujours, limite c’est des grands chums. En France, JoeyStarr ou Booba sont sur les plateaux de télé à côté de Laurent Baffie ou Miss France depuis 15 ans facile… Je ne dis pas que là-bas les rappeurs ne se plaignent pas d’un traitement différencié dans les médias, mais n’empêche qu’au Québec, j’ai encore l’impression que les rappeurs ne sont pas reçus et présentés de la même façon que les autres artistes. Ça reste un peu des énergumènes, c’est la sensation que ça me donne en tout cas. Un rappeur à la télé québécoise c’est toujours un peu comme le nouveau chum qui se pointe au souper de Noël, on sait jamais trop comment le prendre.

 

 

 

Ton retour dans le rap est permanent ou est-ce tu le fais pour le plaisir sans aucune attente ?

Un peu des deux. Ça sera permanent, tant que j’aurai de l’inspiration. C’est l’amour des mots qui m’a ramené dans le truc. À mon humble avis, ce qui distingue les bons rappeurs des mauvais c’est l’écriture, c’est la racine du rap. Mais je suis bien conscient des limites du rayonnement que je peux avoir. Pour avoir un gros buzz faut vraiment avoir un mélange parfait de beats, de flow, de refrains accrocheurs, sur des clips innovants au point de devenir la nouvelle sensation. Bref mes chances de devenir la nouvelle tête d’affiche sont très minces, mais je vis bien avec ça. Je me dis que mon Spotify sera l’album d’une vie. Tant mieux si certaines personnes aiment un peu ça.

 

 

 

 

A l’époque quand tu avais sorti ta mixtape avec Krooks, pourquoi n’avais-tu pas ensuite sorti un projet solo avant de quitter la scène pour les études ?


J’avais un projet d’album avec Dj Manspino, l’ancien Dj de Sans Pression. On avait avancé, mais à la fin ça cliquait moins entre lui et moi, pour différentes raisons, de mon bord comme du sien. Outre un certain désintérêt que j’avais envers le hip-hop en tant qu’artiste, disons que j’étais un peu désillusionné de l’industrie musicale, du rap en particulier. J’ai vite compris que c’était dur d’arriver financièrement. Pas se mettre riche, juste ne pas être déficitaire. Faire de la musique c’est vraiment un puits sans fond. Les beats, les clips, la promotion ça coûte de l’argent. Ce que je comprends très bien, je ne le critique pas. Objectivement, c’est des gens autour qui travaillent et fournissent des bons services. Mais il demeure que faire de la musique implique de dépenser beaucoup, pour peut-être éventuellement rentabiliser sa mise après de longues années d’investissement une fois que t’atteins un haut niveau de notoriété, où tu fais des concerts à guichet fermé. Puis aussi, je me trompe peut-être, mais j’ai l’impression qu’au-delà de la passion, certains sont rappeurs par manque d’options, de carrière je veux dire. Faute d’avoir des
diplômes et des perspectives de carrière professionnelle intéressantes. Il y a une dizaine d’années, j’avais regardé une entrevue de Memphis Bleek où même l’intervieweur était à la fois surpris, mais en même temps d’accord avec sa franchise sur le fait d’être rappeur quand il disait genre : « people don’t understand, it’s a job ». C’était pour faire comprendre que la carrière artistique ça doit être considéré comme un emploi à temps plein pour réellement en vivre. Fat Joe avait déjà dit, à peu de mots près : « Truth is we all wanna quit, but it’s the only thing we can do ». Moi j’avais d’autres options, pour me réaliser, mais aussi sur le plan financier et en matière de longévité. C’est dur de se bâtir une retraite avec l’argent du rap. Puis aussi, j’avais le rêve d’être prof d’université. Je n’y suis toujours pas arrivé, mais bref c’était à ce moment-là que j’entamais les démarches pour entrer au doctorat et que j’ai décidé de complètement arrêter de faire de la musique. J’avais plus tellement le temps, ni l’intérêt.

 

 

 

 

Tu as dévoilé quelques chansons sur les plateformes numériques, quelle est ta chanson coup de coeur et pourquoi ?

« Montréal », je dirais. C’est entraînant, pas complètement con et même un peu rassembleur, à mon avis. « Des histoires » pour les fans de rap pur et dur. Ceux qui ont des enfants pourraient aimer « Mon petit garçon ». J’ai des retours positifs de gens qui détestent le rap, mais apprécient la profondeur de cette chanson-là. Sinon, en matière de coup de cœur, je pense que « Coup de foudre » reste peut-être celle avec le plus fort potentiel, disons si un animateur de radio commerciale écoutait rapidement mon matériel.

 

 

 

On sait que tu as recommencé a travaillé avec Accro de Hot Box productions. Comment s’est déroulé le processus d’enregistrement pour ces nouvelles chansons ?

J’allais enregistrer chez lui en 2000, je l’ai connu au secondaire à Sophie-Barat. Un ami d’enfance autrement dit. Quand j’ai voulu enregistrer une nouvelle chanson, j’ai communiqué avec lui et il était très ouvert. Pis de fil en aiguille, j’ai fait une, puis deux, puis trois et quatre chansons, dépendant de mon inspiration et des idées que j’avais en tête. On a reconnecté et recommencé à hang out un peu par la même occasion. Après le studio, on prend un verre puis on sort dans les bars, on a toujours un good time. Là le coronavirus casse un peu l’ambiance mais bon..

 

 

 

Dix ans d’absence, c’est beaucoup. Est-ce que tu te sentais alaise de reprendre le micro au studio ou est-ce que tu as douté de toi à un certain moment ?

Non, j’ai pas tellement douté parce que j’avais pas vraiment d’attente. C’était pour le fun.  Les « aptitudes » que j’avais développées avec le temps niveau musique, je ne les ai pas perdues. Et je pense que ça vaut pour beaucoup de gens de mon âge ou même plus vieux. En fait, la vérité c’est que la majorité des rappeurs québécois ont une vraie job à côté. Aujourd’hui, je sais pas trop, mais à l’époque même les rappeurs qui faisaient un peu d’argent sale pour s’habiller puis sortir le soir avaient quand même une vraie job. C’est juste que c’était pas nécessairement des emplois prestigieux. Et eux n’ont pas interrompu leur production donc ils sont restés dans le paysage musical. Mais après, il y a un peu de tout. Un bon ami à moi, Quidam, mais il y en a un paquet d’autres comme je dis, ont une vie professionnelle remplie où ils peuvent très bien gagner leur vie et s’accomplir. C’est juste de voir le rap comme un hobby, en quelque sorte. Par contre, et pour revenir à la question, j’ai fait entendre des trucs à Marc-André de Ghetto Érudit et il m’a quand même dit que j’étais un peu old school dans ma façon de kicker les couplets, je pense qu’il a raison. 

 

Mais encore une fois, j’avais pas vraiment d’attentes. En fait, pour raconter l’histoire complète, ça a recommencé parce que je swipais sur Tinder et je tombais sur des filles un peu fofolles. Je racontais mes anecdotes aux gens autour pis j’me suis dit que je pouvais en faire une chanson. Ce que j’ai fini par faire. Ça a fait rire mes amis, mon cousin. Ma sœur m’a trouvé un peu fendant, mais elle comprenait l’angle de la chanson et étant elle-même une habituée des sites de rencontre elle sait qu’il y en a des vertes et des pas mûres. Chez les gars comme les filles. Puis petit à petit, le goût de recommencer à raconter des trucs plus personnels ou intimes m’a repris. J’ai fait la toune sur mon fils. Une autre « Ma vie » qui parle de défis quotidiens, notamment sur le plan professionnel. Moi dans tout ça, ce que j’aime, c’est l’écriture, que ce soit dans le milieu universitaire, ma vie professionnelle et ici aussi dans la musique. Tant mieux, si je peux laisser des bons articles académiques et une couple de bonnes tounes, je laisserai ça en héritage à mon fils. Rendu adolescent, il dira à ses amis que son père est cool. Moi c’est les rappeurs Fabe, Akhenaton et Oxmo qui m’ont transmis l’amour des mots. Pas juste du rap ou de la musique, mais de la langue et du vocabulaire. Après j’ai converti ça dans une autre carrière que le rap. Peut-être que des lecteurs de votre site connaîtront un chemin similaire au mien…

 

 

 

As-tu l’intention de sortir du visuel pour les chansons de l’album ?

Encore là, c’est une question financière. Pour être extrêmement honnête, je viens d’acheter une maison de ville à Rivière-des-Prairies et je veux changer de véhicule cet hiver (rire). Si je trouvais une opportunité pour un genre de clip abordable avec de l’animation (sans être pogné pour gesticuler devant un mur de briques) j’y penserais. Je laisse mon Instagram, très fraîchement créé, si quelqu’un a des idées… @bendymtl Je posterai des chansons là-dessus.

 

 

 

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